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Blog des CVR de Vaucluse et des Départements limitrophes
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  • L'association des CVR de Vaucluse s'investit activement pour le devoir de mémoire dans le Vaucluse et les départements limitrophes afin transmettre les acquis fondamentaux de nos aînés, "ceux de la Résistance", aux jeunes générations. Siège social Lagnes
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22 novembre 2014

Fiche historique N°5: le Maquis de Viens par Madame Catherine CHAUMIEN

Marcel Chaumien

                Le Maquis de Viens

              par Madame Catherine CHAUMIEN

Dès le début 1944, la Résistance intérieure est prévenue des débarquements proches. Le BCRA (Bureau Central de Renseignement et d’Action) de Londres va mettre en place des missions en vue de ces opérations. Ce sont ainsi des agents français venus de Londres ou d’Alger qui vont mener à bien ces missions, comme Marcel Chaumien dit "Armand" et Jean Soupiron dit "Jacques". 


         Mon père, Marcel Chaumien est né à Reims en 1913, d’une famille très modeste. Son père a été tué en 1914, sa mère travaillait aux chemins de fer, il s’engage dans l’armée de l’air en 1931. Mécanicien d’armement, il est ensuite instructeur parachutiste et terminera sa carrière comme commandant de réserve. Avant 1939, il participe à de nombreuses missions en Afrique. Mis en congé d’armistice sur sa demande le 21 novembre 1940, il entre dans la Résistance en mai 1941 (groupe du Général Cochet).         

Jean Soupiron

Jean Soupiron est né en 1919 à Paris. Son père travaillait à la Banque de France et sa mère femme au foyer, il rentre à l’école de AM de Rochefort en 1935 et breveté radio navigant en 1938. Instructeur à Cazaux, il est nommé sergent chef. Il est mis en congé d’armistice en septembre 1940.

Les deux hommes qui ne se connaissent pas encore vont essayer de rejoindre Londres ou Casablanca par l’Espagne. Après diverses mésaventures (séjours dans les prisons espagnoles…), ils arriveront à Alger (base importante de la Résistance extérieure) en décembre 1943. Ils signent un engagement au BCRA et vont suivre un entrainement type "commando" au "Club des Pins"  d’Alger (club fondé par de riches colons et réquisitionné par les britanniques pour entrainer les commandos et les agents). Jean Soupiron rapporte: "l’esprit du club : Rigueur, Courage, Pugnacité, entrainement physique forcené, apprendre à se surpasser… Jamais d’encouragements". Le stage va durer 3 mois et demi.

En avril 1944, ils prennent connaissance de leur mission (appelée mission "Coningston"): Météo dans le sud-est de la France (région R2); faire des relevés des différents paramètres du temps présent toutes les 2 heures en vue du débarquement sur les côtes méditerranéennes, que Jean Soupiron transmettra par radio (2 émissions quotidiennes).

Fin avril 1944, ils partent par avion pour la Corse et embarquent à bord d’une vedette lance torpille américaine et sont débarqués sur la côte (Ramatuelle). Pris en charge par la Résistance locale, ils vont d’abord à côté de Cucuron dans une ferme isolée. Marcel Chaumien rapporte: "Nous avons commencé notre travail avec un seul poste de radio et une installation de fortune…" Leur sécurité devenant aléatoire dans cet endroit, ils partent le 6 juin pour Apt où ils rencontrent le Colonel Coste qui les confie à René Char, "Alexandre"… Jean Soupiron se souvient: "L’homme vers qui nous allons est …un poète ! Ce qui  nous inquiète un peu. Nous avons tort. Nos jugements sont erronés. Cet homme se révèle être un homme supérieur, rigoureux, pragmatique…(…) son secteur est organisé de manière exemplaire et chacun obéit avec enthousiasme…"

Mon père m’a confié son admiration pour "ce colosse , remarquable meneur d’homme et qui savait se mettre au niveau de son interlocuteur, fut il artiste, intellectuel, paysan…". Il écrit aussi dans son compte rendu de mission: "Alexandre fut pour nous d’un très précieux concours : il nous donna armes, munitions et matériel pour nous installer dans une ferme de la commune de Viens (Flaqueirol) appartenant à Mr Robert Roux, agriculteur ; celui-ci nous ravitaillait et nous signalait les rumeurs à notre sujet".

René Char mentionne "Armand" dans le fragment n°67 des "Feuillets d’Hypnos" : "Armand, le météo, définit sa fonction, le service énigmatique".

Viens est une commune rurale, à 10 km de Céreste (PC d’Alexandre) et compte environ 300 habitants en 1944. Presque toutes les fermes sont habitées. Dans le village, il y a deux épiceries, une boucherie, une boulangerie, une poste, une école, deux cafés, un charron, un maréchal ferrant…

Environ une trentaine de jeunes gens réfractaires au STO se sont cachés dans les campagnes avec la complicité de la population …et des gendarmes. La population soupçonnait ou connaissait l’existence du Maquis de Flaqueirol; les Résistants venaient au village acheter du pain et du tabac…Les Viensois ont été complices; d’ailleurs, à la Libération, le maire, Henri Audibert, a été maintenu dans ses fonctions.

La ferme de Flaqueirol

La ferme de Flaqueirol se prêtait bien à l’installation d’un groupe de Résistants: isolée, à 4km au nord du village, à flanc de colline elle avait deux issues, dont une par la grange. En plus des émissions pour la mission météo, Jean Soupiron émet des messages pour Alexandre ainsi que pour Jean Fernand, dit "Junot", chef de la S.A.P (Section Atterrissage et Parachutage d’Apt). Les messages à envoyer sont apportés par des agents de liaison: Pierre Désorgues, d’Apt et Roger Bernard, de Céreste. Pierre Désorgues, dit "Pierrot", alors jeune lycéen, a été recruté à Apt par le Docteur Apy. Il sillonne à vélo la région pour porter des messages, des tracts… cachés sous la selle ou dans le guidon. Avec des camarades du lycée, il distribue des tracts, peint des croix de Lorraine sur les portes des maisons des "collabos"…

Stèle de Roger Bernard

Roger Bernard, de Pertuis, a fui le STO, est resté un moment avec Jean Giono, puis a rejoint Alexandre à Céreste. Celui-ci l’a pris en amitié car c’est un jeune poète. Il a malheureusement un rendez vous tragique avec le destin, le 22 juin 1944, au matin en allant porter un message à Céreste. Il est arrêté par les allemands en bas de Viens en possession d’un revolver, chaussé de chaussures anglaises, il est exécuté par les allemands d’une balle dans le dos à côté de l’ancienne gare de Viens. Il avait 23 ans…

Marcel Chaumien écrit: "il est mort en brave, refusant de parler. Ces faits m’ont été confirmés par les gendarmes qui écoutèrent dans une pièce voisine du lieu de l’interrogatoire". Il laisse une femme et un bébé de quelques mois. Il avait 23 ans. Après la guerre, René Char fera publier ses poèmes "Ma faim noire déjà" chez Seghers et s’occupera de sa veuve, Lucienne, qui d’ailleurs posera pour Matisse. C’est Félix Bœuf, FFI, neveu de Fernand Bœuf, maire d’Apt, qui remplacera Roger Bernard.

Prévenus par Robert Roux et dans la crainte de représailles, le Maquis de Flaqueirol se replie quelques jours dans une ferme en ruines au fond d’une combe…Robert Roux évacue sa famille (sa femme était enceinte et ses fils, Sylvi et Aimé âgés d’environ 4 et 6 ans; ils se rappellent avoir dormi quelques nuits dans des meules de foin…).

Les Résistants avaient aussi "hébergé" quelques jours à Flaqueirol un pilote américain, venant d’Italie en mission et dont le "Mustang" (avion chasseur d’accompagnement) avait été abattu par les allemands au dessus d’Avignon. H. Reed n’avait pas été blessé et eut la chance d’être "récupéré" par des agriculteurs; il est envoyé sur Apt, Avignon étant trop dangereux et caché à Flaqueirol quelques jours. Là, mon père m’a fait part de deux anecdotes: en une seule toilette le pilote américain a épuisé la maigre réserve de savon existante…, et comme on le voyait manger fort peu par rapport à sa taille, il réussit à expliquer (il parlait très peu français) que dans son "briefing" avant de partir en mission on lui avait ordonné que s’il était hébergé par des français il devait se nourrir le plus légèrement, "pour sa stricte survie" étant donné les restrictions alimentaires. H. Reed repartira par avion sur un des terrains d’atterrissage et de parachutage, le terrain "Spitfire" près de Saint-Jean de Sault.                                   

Terrain atterrissages-parachutages de St-Jean de Sault

Ces terrains ont joué un rôle majeur pour la Résistance: de janvier au 18 août 1944 il y aura 115 parachutages (220 tonnes de matériel : armes, munitions, vivres, matériel de survie, radios, vètements, chaussures), et 7 atterrissages pour amener des responsables (Camille Rayon, dit "Archiduc" et qui commande la R2) ou en rapatrier, notamment le 10 août 1944 où un Dakota embarque 22 personnes. Les largages étaient effectués par des Lysander (2 ou 3 passagers). Tous les Maquis de la région ont participé à ces actions (notamment celui d’Alexandre, du Maquis Ventoux, d’Apt…).

Des agents instructeurs saboteurs envoyés de Londres sont venus en France par ce moyen, notamment "Pioche" (René Obadia) et "Binette" (je n’ai pas son vrai nom). Ces agents avaient des pseudos de noms d’outils de jardin. Ils montraient le maniement des armes, des explosifs (avec des matériaux simples achetés chez le droguiste…) et enseignaient le sabotage (faire sauter des installations, dérailler des trains). Enfin ils "liquidaient" des traitres ou des collaborateurs.

Pioche a en effet "liquidé" un pharmacien collaborateur en pleine journée dans Apt et est reparti sur le vélo de celui-ci. Il a aussi avec un petit groupe d’hommes saboté les usines d’aluminium de Gardanne (13) les mettant hors service pour plusieurs mois.

Marcel Chaumien et Jean Soupiron vont partir de Viens (raisons de sécurité) pour Buoux, dans la ferme de La Brémonde, aidés par la famille Beauvisage, parisiens ayant fui la capitale. Jean Soupiron a de plus en plus de messages à transmettre, dans des conditions techniques difficiles: l’électricité est de plus en plus souvent coupée, il va travailler sur batterie (aussi pour ne pas être détecté par les allemands). Enfin, il avait monté une génératrice sur un vélo biplace: 3 heures de pédalage immobile pour 20 minutes d’émission…

Après le débarquement allié, le 19 août en allant chercher à moto une voiture mise à disposition en Avignon par les FFI, Marcel Chaumien et Félix Bœuf furent attaqués par un side-car allemand. Ils le poursuivirent et Marcel Chaumien tua le conducteur d’une balle dans la tête. Le passager réussit à prendre la fuite à pied mais se rendit aux autorités d’Apt.

Enfin, le lendemain, étant descendu à Apt avec Jean Soupiron pour chercher des batteries auprès de la S.A.P, ils ont été surpris dans les rues d’Apt par un char allemand. Marcel Chaumien écrit: "N’ayant pour arme qu’une grenade et une mitraillette, nous avons réussi à nous échapper sous le feu du char et des FFI qui tiraient derrière nous".

Ils vont ensuite rejoindre leurs services qui ont établi un état major de campagne à Brignoles (Var).

Il existe un rapport de la Gestapo de Marseille du 11 août 1944 (Jean Marie Guillon m’en a fourni une copie), le "rapport Antoine" dans lequel il est mentionné Jean Fernand (alias "Junot"), son adresse à Apt, ainsi que la ferme de Flaqueirol : "3km au nord de Viens, route 3, maisons de campagne à droite. Celle du milieu est le PC. Mot de passe : 312 Ajax ".

Comme le débarquement et la libération des villes de Provence ont eu lieu quelques jours plus tard, le réseau n’a pu être démantelé.

~~~

En conclusion de cette brève évocation du maquis de Flaqueirol, je dirai que les hommes qui ont vécu cette période sont restés soudés entre eux par une amitié qui ne s’est achevée que par leurs décès respectifs.

Enfin, Marcel Chaumien a été maire de Viens de 1959 à 1977 et Robert Roux son 1er adjoint.  


Crédits photographiques: les photographies de Messieurs Marcel Chaumien et Jean Soupiron ainsi que la photographie de la ferme de Flaqueirol proviennent de la collection de Madame Catherine Chaumien.


 

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Commentaires
C
Notre Association des CVR de Vaucluse tient à remercier Madame Catherine Chaumien pour ses recherches historiques, son texte et ses photographies qui ont permis de réaliser cette fiche historique N°5 sur le Maquis de Viens, haut lieu de la Résistance en Vaucluse.<br /> <br /> Bien cordialement
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